août 19, 2009

Oxmo Puccino, interview & chronique du Cactus de Sibérie

Aujourd'hui que "Soleil du Nord" est dans tous les esprits, (j'espère), je laisse réapparaître une interview d'Oxmo Puccino réalisée à l'occasion de la sortie de Cactus de Sibérie, en 2004, publiée sur L'Ingrédient. D'abord la chronique:


Le Cactus de Sibérie, 14 titres

Sort le 13 avril 2004


Oxmo Puccino a toujours été un rappeur phénoménal, depuis sa « Pucc Fiction » avec Booba sur L432, , en 1997, un titre cinématographique qui a marqué les esprits, et traumatisé bien des rappeurs. Le succès (d’estime) se confirme sur le «Sad Hill » de Khéops où son titre « Mama Lova » se détache comme une perle de douceur « pour toutes les mères de scar-la ». Son premier album, « Opéra Puccino », fut l’occasion d’aligner des bijoux de poésie sombre et consciente (« Il y a combien de milliardaires en chaudronnerie ? »), un disque culte dans l’histoire du rap français, par la qualité de son écriture, de son interprétation, la cohésion des titres, mais particulièrement pour l’emergence d’Oxmo, rappeur qui éclate les normes tant son cadre sonore est immense. En 2001, après une tape bien de chez lui, Time Bomb/Place des Fêtes, il sortira l’album « L’Amour est mort », la plus grande œuvre dans le rap français à mon sens. Les productions sont puissantes, dj Mars et Seck (« Kessey ») se sont surpassés, d’accord, mais le grand Ox’ travailla l’écriture en profondeur, l’interprétation en finesse, jouant des images et allégories avec le flow techniquement le plus abouti du pays. Chef d’œuvre de pureté, il n’aura trouvé comme public que les puristes, et encore paraît-il ; un disque trop en avance, que l’histoire n’oubliera pas mais qui ne nourrit pas son homme. Non pas dépité mais frustré de scènes et de contact avec le public, Oxmo a préparé un troisième disque direct et simple. Pas simpliste, car l’homme est riche, mais un album qui se comprend plus vite que le précèdent, car il parle ouvertement et sans détour.

Les métamorphoses de son flow sont toujours magiques, comme le ton chaleureux et enveloppant du « Cactus de Sibérie », le titre éponyme, où le rappeur atteint la diction d’un comédien (le « Black Cyrano » mérite maintenant tous les applaudissements), pour parler de sa vie d’homme avec liberté. « Arrivé sur Terre », « Mes fans », deux autres morceaux où il développe l’introspection avec talent, comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Au rayon nouveautés, des chansons entraînantes (« On danse pas ») ou envoûtantes (« Laisse moi fleurter » sur une instru de Jonxmoke, son alter-ego). Il revient néanmoins sur son deuxième disque, achevant « Le Laid » sur « Mon Pèze », ré-expliquant que « L’Amour est mort, mets… »(bien ça dans ta tête) ; c’est l’occasion de clore certains dossiers, d’une manière évoluée, et de satisfaire les frustrés de complexité. Ce serait ridicule de persister dans cette attitude, car c’est le même créateur génial qui nous offre l’hilarant « Black Desperado », super-héros kitcho-mexicain venu délivrer le rap français, et le poignant « La nuit m’appelle » sur une instru de Wayne Beckford. Il refait un morceau avec K-Reen, sur les amours malheureuses, avec au final un titre presque formaté radio, que les amateurs de la voix de la dame apprécieront. Pour les fans de Kool Shen, le morceau « Un flingue et des roses » est l’occasion de confronter deux styles d’anthologie sur des réflexions essentielles, où l’on parle de violence et de fleurs(«Passer du baume sur ton dos n’est pas ce qui m’amène/ Accepte la main tendue d’un ex-adepte de la paix par les armes »), avec justesse.



Rencontre avec Oxmo Puccino, pour parler de cet album que je n'avais pas encore écouté (Poitiers, 2004)



Concept ?


C’est mon troisième album, J’avais rien à faire donc, tant qu’à faire autant m’occuper.. Ce troisième album je l’ai appelé « Le Cactus de Sibérie » parce que... c’est arrivé comme ça..je cherchais un son particulier, entraînant, un son scénique, théâtral, presque B.O. pour cet album et ça me paraissait un beau titre, et un symbole, en même temps le symbole de déracinement, d’enracinement, bref de racines : parce que je suis né en Afrique, j’ai grandi à Paris, et parce que le cactus est une plante qu’on offre pas, qu’on trouve pas dans les parcs, qu’un cactus en Sibérie c’est un synonyme d’impossible, d’isolement, d’éloignement, de distance, de voyage, d’inconnu, c’est pour tout ça que je l’ai appelé le Cactus de Sibérie, un peu tout ça..


Il y a une construction au niveau de l’album ?


Non, je voulais une ambiance sonore particulière, pour le rap j’ai travaillé un flow tranquille, pour être plus près des auditeurs, j’avais pas de construction en tête, pas comme le deuxième album où j’avais une thématique, un concept à suivre et tout.


Réalisation : enregistré où, avec qui ?


Il a été enregistré dans plusieurs endroits, on a eu une première session studio qui a été de mars-avril 2003, on en est sorti avec douze ou treize morceaux, mais on s’est rendu compte que c’était trop dans l’ambiance du premier album, et on est retourné en studio avec d’autres producteurs, un réalisateur qu’est Manu Key, pour avoir un son plus riche et plus étoffé. Je suis retourné en studio en octobre, pour finaliser tout, on se retrouve avec vingt-cinq morceaux pour en garder quatorze, et j’avais commencé avec Mars, Seck et Arnaud d’Alsoprodby, et ensuite j’ai continué avec une prod par producteur, c'est-à-dire Duo, Diesel, Seb, moi-même, un américain, un anglais, pour un album assez divers.


Au début ça ressemblait trop au premier ?


Oui, musicalement, des musiques monotones, un peu lentes, et c’est pas ce que je voulais quand j’ai commencé l’album, donc on a fui notre nature pour aller à la rencontre de ce que je voulais, à savoir les scènes, pas les dancefloors parce que voilà, mais..(il claque des doigts en rythme).. faire swinguer.


Jon Smoke fait du son ? Il est toujours là, qu’est ce qu’il t’a apporté ?


Jon Smoke fait du son, ouais. Jon Smoke il m’a apporté une prise en compte de la musique dans le rap, de la mélodie, ce que je faisais à peine avant.. Il m’apporte une profondeur dans certains instruments, sans vouloir plonger, il me donne une approche de la musique un peu folle, parce qu’il n’a pas de limites ou de modèle de notre temps, on va dire.


Produit sur quel matériel ?


Au niveau de la prod chacun a amené son propre matos, son truc, quelque fois c’était des cd protools, les mecs avaient avancé en pré-prod et on finissait en studio, sinon les consoles de mix je suis pas trop pointu là-dessus, parce que c’est pas mon domaine, je sais qu’il y avait beaucoup de MPC-3000 MPC-2000, Emu, synthétiseurs communs, racks Trinity… Et puis surtout on n’a pas été dans une direction numérique, on a essayé de faire un son plus analogique, proche du live, proche de la musique originelle, à savoir avec des instruments, donc on a mis des bassistes, des violonistes, des contrebassistes, des trompettistes, des tistes-tistes, pour avoir un son plus chaud, plus varié. Changer du sample de quatre mesures, dans le rap, qui tourne en boucle.


Avec qui tu l’as fait, quelles collaborations ?


Featurings.. J’avais commencé l’album tout seul, et même quand j’avais fait les featurings, à savoir Mam’s Manolo, le Célèbre Bauza, K-Reen, ça restait quand même un album commun d’Oxmo Puccino, sans trop de feats. Et puis on m’a fait sauter une étincelle dans les yeux, en me parlant de Kool Shen, j’étais hésitant parce que, l’homme est occupé, j’avais demandé pour le deuxième album il pouvait pas, donc je comptais m’abstenir, jusqu’à ce qu’on ai un appel de IV my People, nous parlant d’un featuring de moi sur l’album de Kool Shen. Alors là je suis venu avec les négociations, et j’ai réussi à l’avoir sur »Un flingue et des roses », sur mon album. Et je suis sur le sien, aussi.


Donc la teinte de l’album, tu me dis une prise live, et un flow plus doux ?


Plus tranquille, plus cool et posé. Moins technique, et une écriture moins… éloignée poétiquement, on va dire. Parce que quelques fois, à partir dans une direction, on ne suit plus trop…


Le public n’a pas suivi sur le deuxième ?


C’est pas…Une partie du public n’a pas suivi, et puis il y a d’autres raisons qui ne sont pas la faute du public, ni de la mienne.


Alors tu l’as travaillé pour séduire ?


J’ai travaillé ça justement pour, au cas où, je n’aurais pas la promotion adéquate. Parce que sur le deuxième album j’avais compté sur une écoute un peu plus longue, sur la durée, et on était à une époque où il fallait que ça aille vite, commercialement parlant, donc le public n’a pas eu le temps de rentrer dans l’album, il n’y a pas eu une promotion assez longue. Et puis moi, j’étais pas au top en qualité sonore, prise de voix, c’était pas le meilleur de moi-même, de mes capacités. Pour cet album là j’ai tout accentué sur la qualité de l’écriture, du flow, et j’ai eu la chance d’avoir de bonnes productions et un bon ingénieur, ça m’a fait des avantages que je n’attendais pas. Donc j’ai écrit plus simplement pour outrepasser tous les problèmes que je pourrais avoir, qu’en une écoute on comprenne au moins la moitié.


Comment as-tu construit ton écriture, justement, face à ces contraintes ?


Mais non c’était pas des contraintes, les plus grosses contraintes c’était surtout pour le deuxième album, où j’allais explorer des zones que je ne connaissais pas musicalement très bien, j’essayais d’aller dans des...J’ai fait une écriture qui n’était pas facile, et puis j’ai tenté des flows, qui n’étaient pas évidents non plus, sur des productions pas d’époque, ou disons pas « tendance ». Sur cet album, sur le troisième, je me suis fait plaisir, j’ai pris des musiques qui bougeaient bien, j’ai écrit plus simplement, je me suis moins pris la tête à chercher des distances. C’est pas des contraintes parce qu’il faut toujours savoir évoluer,et j’essaie de le faire sur cet album, tout en restant, plus simple quoi.


Et au niveau des thèmes tu es revenu vers les Pucc-fictions ?


Non, j’ai fait une fiction, qui aurait pu être un mélange d’un concept de morceau, un sujet, et j’en ai fait une fiction j’ai tout mélangé, et ce morceau c’est le « Black Desperado », c’est l’histoire d’un super-héros musical, qui va sauver le rap français. Donc c’est imagé, c’est un mélange d’une fiction, une histoire drôle, et d’un message à l’encontre de tous ceux qui disent que le rap est mort ou qui se posent la question, parce que c’est n’importe quoi ; à partir du moment où t’as entendu un morceau, d’un rappeur récent ou même un morceau d’un album, vois il y a celui de Rim-K qui va sortir, le rap français c’est qu’il est pas mort. Si on continue d’écouter les morceaux, rien que si on pose la question, c’est qu’il est pas mort.


Est-ce que tu ferais encore « Black Mensongeur » ?


Non, parce que le truc c’est que ce morceau, c’était une interlude à la base, et on s’est retrouvé à le mettre en single parce qu’on avait aucun morceau marrant sur l’album. Donc j’ai du réenregistrer le morceau, l’allonger, et c’était plus un interlude c’est devenu un morceau. Que je regrette pas, mais je l’avais pas vu comme ça, donc, si je voulais faire des morceaux entraînants, je ferais plus attention. Maintenant quand je fais un morceau entraînant je réfléchis plus à sa finalité à l’écriture, plutôt que de le faire et de réfléchir après quand il va sortir, parce que on regrette souvent des morceaux qui ont été exploités en single, donc j’écris de manière à éviter ça.


Quels sont tes projets ?


J’ai pas l’habitude de faire de grands projets, l’album sort, je suis en tournée avec Triptik, ça c’est les choses qui sont sûres pour l’instant. On a peut-ête un clip qui va sortir avec un single, après ça je vais essayer de monter une tournée, voilà ça fait déjà beaucoup..



Depuis "du lait a coulé sous les ponts", L'Arme de Paix est son dernier album, superbe, vous aurez peut être raté Lipopette Bar qui était une grande Pucc'Fiction façon jazz, pièce unique. De toutes manières je suis d'accord avec Oxmo, il "avait gagné le match avant la mi-temps". Qu'il puisse en vivre longtemps.


www.oxmo.net

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